Cass. 1re civ. 12 septembre 2019, n° 18-20.472, P.

Mais attendu, d’abord, qu’aux termes de l’article 16-7 du code civil, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ; que, selon l’article 16-9 du même code, ces dispositions sont d’ordre public ; qu’ayant relevé que l’action de M. X... en contestation de la reconnaissance de paternité de M. Y..., destinée à lui permettre d’établir sa propre filiation sur l’enfant, reposait sur la convention de gestation pour autrui qu’il avait conclue avec Mme C..., la cour d’appel en a exactement déduit que la demande était irrecevable comme reposant sur un contrat prohibé par la loi ;

Attendu, ensuite, que l’arrêt énonce que la réalité biologique n’apparaît pas une raison suffisante pour accueillir la demande de M. X..., au regard du vécu de l’enfant E... ; qu’il relève que celui-ci vit depuis sa naissance chez M. Y..., qui l’élève avec son épouse dans d’excellentes conditions, de sorte qu’il n’est pas de son intérêt supérieur de voir remettre en cause le lien de filiation avec celui-ci, ce qui ne préjudicie pas au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines ; qu’il observe qu’il en est ainsi même si la façon dont ce lien de filiation a été établi par une fraude à la loi sur l’adoption n’est pas approuvée, et précise que le procureur de la République, seul habilité désormais à contester la reconnaissance de M. Y..., a fait savoir qu’il n’entendait pas agir à cette fin ; qu’ayant ainsi mis en balance les intérêts en présence, dont celui de l’enfant, qu’elle a fait prévaloir, la cour d’appel n’a pas méconnu les exigences conventionnelles résultant de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Obs. Richard et Marc concluent une convention de mère porteuse avec Isabelle, le sperme de Richard étant utilisé. Par la suite, Isabelle déclare que l’enfant est décédé à la naissance. Il s’avère que c’est faux, et qu’Isabelle a « cédé » l’enfant à Léa et Théo, ce dernier ayant reconnu l’enfant. Après une procédure pénale, Isabelle et son mari, ainsi que Léa et Théo, sont condamnés. Richard agit alors en contestation de la paternité de Théo. Action irrecevable disent les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, l’action reposant sur un contrat prohibé : la convention de mère porteuse. Quant à l’intérêt de l’enfant, la Cour de cassation affirme que la réalité biologique n’est pas forcément suffisante pour accueillir la demande de Richard « eu égard au vécu de l’enfant ». La place manque pour commenter cet arrêt, mais l’on observera que l’intérêt de l’enfant permet à Théo de garder l’enfant, en dépit de sa condamnation pénale pour l’avoir « obtenu » dans des circonstances illicites. Le raisonnement est connu en d’autres matières (v., en DIP, le déplacement illicite d’enfant, quand celui-ci réside depuis plus d’une année dans le nouveau pays), et l’on sait qu’il divise juristes et non juristes. Reste que cette affaire illustre les dérives de la GPA « underground » : le père biologique n’a strictement aucun recours puisque la convention est illicite, et si le parquet ne veut pas agir (comme en l’espèce), voilà ce père réduit au rang de donneur, et de dindon de la farce. Car, oui, tout ceci ressemble bien à une farce, sauf pour l’enfant bien sûr. Il restera à ce dernier à vivre avec toute lourde réalité, ce qui ne sera pas simple, d’autant que le père biologique saura exactement où vit l’enfant qui lui a été pris… En outre, il faudra aussi résoudre la question de la licéité de l'action en contestation de paternité menée par l'enfant lui-même (lui dira-t-on, à lui aussi, qu'elle est irrecevable car il est né d'une convention illicite, alors même qu'il n'est pour rien dans celle-ci ?!).  À l'heure des débats sur les PMA, nul doute que cet arrêt sera utilisé (à tort ou à raison) par ceux qui disent qu'une discrimination femmes/hommes se met peu à peu en place. Il prouve surtout que ces pratiques existent, et l'on se demande combien de temps encore il sera raisonnable de faire comme si elles n'existaient pas. Le rôle du droit civil (et pénal) n'est-il pas d'accompagner l'évolution de la société et des sciences, plutôt que se voiler pudiquement la face ? L'histoire du droit civil montre que les évolutions sociales basées sur l'évolution des sciences s'imposent toujours au droit positif, quelque opinion que l'on ait sur le fait social en cause. Il n'est de digue si solide que l'eau ne puisse passer. Demandez à nos amis hollandais...  

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