Ce n’est pas bien de se moquer des droits étrangers, c’est vrai. Mais ce n’est pas bien non plus de jeter les enfants à la poubelle… Impensable ? Odieux ? Vous pensez que l’auteur de ces lignes exagère ? Hé bien à peine…


L’histoire se déroule en Croatie, à l’hôpital de Split, où des parents pleurent la naissance de leur enfant mort-né, dans une douleur que chacun peut imaginer. Ils veulent revoir une dernière fois la dépouille de leur enfant, mais cela leur est refusé car les autorités de l’hôpital veulent pratiquer une autopsie sur le petit ange. Las, les parents demandent une fois encore à revoir leur enfant, insistent, et ajoutent au combat contre leur chagrin un combat contre l’hôpital. Mais en vain… Et puis finalement arrive l’horrible nouvelle, dont nous peinons à croire qu’elle soit même concevable : le corps de l’enfant ne peut être remis à la famille, car il a été incinéré, à l’insu des parents, en même temps que tout un tas de détritus hospitaliers. L’enfant mort-né, un déchet comme les autres…


Les parents entament alors, sans le savoir, leur second chemin de croix : celui de la justice, via un procès pénal et un procès en responsabilité. Du bout des lèvres, la Cour suprême croate consent à reconnaître que l’hôpital a commis une faute en faisant ainsi disparaître le corps de l’enfant tout en restant muet sur le lieu où il  a été conservé. Mais… Car vous l’imaginez bien, au pays des juristes, il y a toujours des « mais ». Des « mais » assassins, des « mais » sans états d’âme, des « mais » qui font refluer en quelques secondes l’espoir qu’a imprudemment fait naître le début de la phrase… Ici, le « mais » fut terrible : oui l’hôpital était responsable, un peu, pour les raisons ci-dessus indiquées, mais cela ne peut justifier l’octroi d’une indemnisation pour les parents. Pourquoi ? Parce qu’aucune disposition de la loi croate ne contraint l’hôpital à informer du lieu où se trouve la dépouille de l’enfant. Oui, oui, vous lisez bien… Pas un mot sur l’incinération et le mélange avec des déchets…  Et comme cela ne suffisait pas, le procès pénal ne donna rien non plus. Circulez, y’a rien à voir, et moins encore d’enfant mort-né à reprendre…
C’est donc à Strasbourg, devant la Cour européenne des droits de l’homme, que ces infortunés parents ont finalement porté leur affaire. Et là, l’épilogue est apaisant, à défaut d’être heureux pour les plaignants. À l’unanimité de ses juges, la Cour condamne l’État Croate, au nom de la violation par ce dernier du droit à la vie privée et familiale des requérants, estimant que  l’incinération n’était pas prévue par la loi croate et que les parents n’ont jamais été en mesure d’accepter, fusse tacitement, un tel traitement du corps de leur enfant. 


Nous ne nous risquerons pas disserter sur les insuffisances ou les mérites de la loi croate, n’ayant aucune compétence pour cela. Mais chacun peut quand même se demander comment un traitement aussi dégradant peut être infligé au corps d’un enfant mort-né, et cela par un hôpital, sans que cela paraisse déranger outre mesure le corps judiciaire du pays concerné… Certes, on nous dira que les mots sont ici équivoques, car un enfant mort-né, n’est pas un enfant né vivant et viable. Mais là encore, ne s’agit-il de fadaises de juriste, propres à faire mourir de rire (ou de tristesse) le commun des mortels ? Allez dire à des parents d’un enfant mort-né que leur enfant n’était qu’un déchet médical. Si vous en réchappez, vous aurez de la chance…


Cette histoire serait-elle possible en France ? Sans doute pas. En effet, dans notre beau pays l’enfant mort-né occupe une place à part, n’étant ni une personne, ni une chose. Il n’est pas une personne, car il est dépourvu de personnalité juridique et, en conséquence, sa filiation ne peut être établie. Mais ce n’est pas une chose non plus. Les parents peuvent demander au corps médical que leur soit remis un « certificat médical d’accouchement », ce qui leur permettra de mentionner la naissance de l’enfant sur leur livret de famille et à l’état civil, ce qui permet en outre, et c’est bien ce qui manquait à l’affaire croate, de procéder à une cérémonie funéraire si les parents le souhaitent. Cette « non-vie » ne se résume donc pas à un néant, et laisse quelque chose d’elle même dans le monde des vivants. 
Mais gardons nous de tout triomphalisme sur la qualité de notre droit, et l’horreur symétrique du droit croate. Dans les deux cas, la loi est appliquée par des hommes, et si les juges croates n’ont pas brillés par leur courage, ceux de Strasbourg ont montré, sans aucune voix discordante répétons-le, une clairvoyance rassurante. Le droit est avant tout l’affaire de ceux qui l’appliquent. Mais, puisqu’il y a toujours un « mais » dans les histoires juridiques, mais quand le droit est mal fait et que les juges n’osent pas le corriger, alors on peut en arriver à des horreurs et à un droit poubelle. Ici, l’enfant avait peut-être un cœur qui ne battait pas, mais au moins il en avait un. L’hôpital, lui, manifestement n’en avait pas. Quant aux juges croates, nous vous laissons en décider… 

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