Cass. 1re civ. 12 févr. 2020, n° 19-10.088, FS P+B+I ; Cassation, CA Paris, 6 nov. 2018 ;

Vu l’article 268 du code civil :

Aux termes de ce texte, les époux peuvent, pendant l’instance, soumettre à l’homologation du juge des conventions réglant tout ou partie des conséquences du divorce. Le juge, après avoir vérifié que les intérêts de chacun des époux et des enfants sont préservés, homologue les conventions en prononçant le divorce.

Il en résulte que le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens.

Pour déclarer irrecevable la demande d’homologation présentée par M. X... sur le fondement de l’article 268 du code civil, l’arrêt relève, d’une part, que cette homologation ne peut intervenir qu’à la demande conjointe des deux époux, d’autre part, que Mme Y... n’a pas conclu, et ne forme donc aucune demande.

En statuant ainsi, alors que la demande d’homologation d’une convention réglant tout ou partie des conséquences du divorce présentée par un époux seul est recevable, et qu’il lui appartenait de tirer les conséquences de l’absence d’accord de l’autre époux sur cette demande, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Obs. Les arrêts relatifs à l'article 268 du code civil ne sont pas nombreux. On se souvient que ce texte, issu de la réforme de 2004, permet au juge d'homologuer les accords auxquels les époux sont parvenus pendant l'instance, après avoir vérifié que lesdits accords préservent les intérêts des enfants et des époux. Ce qui était en discussion au cas d'espèce, c'était une "tête d'épingle procédurale" relative à ce texte : si Juliette, une fois son accord donné, n'est finalement plus d'accord pour prendre des conclusions concordantes devant le JAF, Romeo est-il recevable à demander l'homologation seul ? Une cour d'appel répond par la négative, estimant que Juliette n'ayant pas conclu sur ce point (et donc de façon concordante), Romeo n'est pas recevable à demander l'homologation. Manifestement, si l'on poursuit la motivation un brin elliptique des juges du fond, les conseillers d'appel ont ainsi estimé que l'homologation supposant l'accord des deux époux, l'absence finale d'accord de Juliette fait disparaître l'intérêt à agir de Romeo. Hé bien non, répond la Cour de cassation ! Le raisonnement est erroné : Romeo est toujours recevable à faire homologuer l'accord auquel il est parvenu, sauf à ajouter immédiatement que le JAF tirera toutes conséquences de l'absence d'accord persistant (et donc rejettera la demande d'homologation).  

La portée de l'arrêt est donc assez mince, prima fascie. Mais à la réflexion, l'arrêt rapelle incidemment le rôle de cet article 268, qui est d'être une sonnette d'alarme face aux accords des époux. Car l'article 268, c'est le garde-fou  du "tout conventionnel" en matière de divorce. 

C'est alors que l'on pense à ces juristes qui espèrent une modification de l'article 268 c.civ., afin d'y inclure des sentences arbitrales portant sur les conséquences patrimoniales du divorce (prestation compensatoire et liquidation du régime matrimonial), de façon à ce que le JAF leur confère l'exequatur (v., V. Avéna-Robardet, Premier centre d'arbitrage des litiges familiaux ! AJ fam. 2019, p. 229). Le libéralisme triomphant pourrait donc aller jusque-là : ma PC et mon régime mat, arbitrés par un amiable compositeur (donc un arbitre détaché de toute régle du code civil pour rendre sa sentence). Un immense progrès social, n'en doutons pas... La présente décision ne se prononce évidemment pas sur cet aspect, mais on relèvera tout de même que la Cour de cassation laisse clairement entendre qu'il faut l'accord des deux époux pour que l'homologation soit accordée (ouf...). Dans ces conditions, on peine un peu à imaginer ce que pourrait être la "modification" de l'art. 268 que ces juristes appellent de leurs voeux : une exequatur alors que l'autre époux n'est finalement pas d'accord avec la sentence ? Vraiment ? Mais alors, que devient le rôle du juge ?! Aujourd'hui il est là pour veiller à ce que les accords homologués préservent les intérêts des enfants, et des membres du couple. Mais demain ? Deviendra-t-il le simple "tamponneur" d'une sentence arbitrale ayant statué en s'affranchissant de tout ou partie des règles du code civil ? Réduira-t-on ainsi le rôle du JAF (dans l'art. 268) à celui de caisse enregistreuse d'une sentence qui est tout sauf l'application du droit positif de la prestation compensatoire et de la liquidation du régime matrimonial ? Ce serait pour le JAF l'humiliation suprême : en être réduit à apposer le sceau de la République, sur une sentence qui s'est affranchie des lois que cette même République a votées... Comment le JAF ne deviendrait-il pas totalement dépressif à une telle idée, qui fait de lui un pantin judiciaire ? 

En somme, l'arrêt ici commenté c'est un peu le calme avant la tempête. Demain, comment fera-t-on pour rendre compatibles les idées d'arbitrage en amiable composition et de contrôle du juge ? Comment faire entrer un cercle dans un carré ? Donnera-t-on l'exequatur à une sentence dont Juliette ne veut plus ?  Si la réponse est positive, comme on a tout lieu de le craindre, chacun voit bien qu'il ne faudra pas simplement "modifier" l'article 268. Il faudra réécrire tout notre droit du divorce, et admettre que le juge d'État passe désormais après le juge privé.

L'artcle 268 c.civ. sera donc un excellent marqueur de l'évolution à venir. Il est une sorte de sonnette d'alerte. La présente décision le met bien en lumière, et cette sonnette a fonctionné au cas d'espèce, ne serait-ce que pour une banale fin de non-recevoir. Preuve en tout cas que cette sonnette fonctionne.

Mais demain ? Quel apprenti-électricien de la Chancellerie la débranchera sur ordre du pouvoir exécutif ? Et surtout, le laissera-t-on faire ? 

 

Jerôme CASEY, Avocat associé au Barreau de Paris, Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux.

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